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Plus je regarde le XXIe siècle, plus j’y vois une tendance quasi inexorable qui souhaite dédramatiser le monde, le rendre drôle, plus amusant…

Dans l’éducation : on abandonne le par cœur au profit de jeux qui facilitent la mémorisation. Dans le travail : on abandonne le management vertical, on encourage le « bien-être au travail », on passe la brosse à reluire avec tellement d’insistance qu’on lisse toutes les aspérités des relations humaines. Tout devient prétexte à la dérision. Sera-t-il même possible de prendre quelque chose au sérieux dans l’avenir ? Ou nous faudra-t-il perpétuellement un bozo le clown de poche pour éviter les larmes ?

Pardonnez donc cet avant-propos grisonnant et revenons au sujet : le retail comme les centres commerciaux n’ont pas échappé aux tendances précitées. La concurrence du e-commerce, les changements des modes de consommation sont les catalyseurs de cette évolution vers le jeu.

Gamification et/ou ludification ?

« Gamification ». Encore un anglicisme — pur produit emballé et conditionnés aux États-Unis — qui se définit par la volonté d’améliorer l’expérience du consommateur en intégrant le numérique : immersion 3D en réalité virtuelle, écrans partout…

Cela s’oppose de manière franche et directe au e-commerce et concerne en large part les enseignes elles-mêmes. C’est le cas par exemple des magasins de maquillage américains Nyx qui se sont associés avec la marque Coréenne Samsung pour proposer des tutoriels de maquillage en réalité virtuelle dans leurs 42 boutiques. Citons aussi le « Virtual Wall », genre de smartphone géant, dévoilé par Adidas dans son magasin des Champs-Élysées pour passer en revue les produits et leur historique.

On comprend aisément que se cantonner à des boîtes à vendre n’est plus possible. Il faut séduire, fidéliser en utilisant tous les moyens technologiques à disposition, mais pas que.

Dans la langue de Molière, on passe de « gamification » à « ludification » un vocable plus doux à mes oreilles et profitons de l’existence de ces deux termes pour couvrir deux réalités. Ainsi la « gamification » concernerait les modifications relatives au numérique et à la digitalisation. La « ludification » serait quant à elle plus globale et épouserait des questions bien « physique » : celle de faire des espaces des centres commerciaux des lieux de loisir.

Centres commerciaux et/ou parcs d’attractions ?

La croissance du e-commerce continue dans le monde mais surtout en France. Au 2e trimestre, la Fevad annonçait une croissance de 14,4 % pour atteindre 22 milliards de vente pour les seuls représentants de l’hexagone (déjà +13 % au 1er trimestre 2018).

(A parte : paradoxal que l’on continue de nous forcer à bouger pour être plus « healthy », alors que le poil dans la main qui nous serre de canne (ou plutôt de stylet), nous pousse vers les plateformes en ligne (Amazon, Deliveroo…).

Le b.a.-ba de l’économie pousse les centres commerciaux à plus d’inventivité. Pas possible de battre sur leur terrain les représentants du e-commerce, alors il faut proposer mieux, choisir le terrain, changer d’arme. Pour se faire, on développe plus de restaurants afin que les consommateurs occupent les espaces de vente plus longtemps, mais surtout on ludifie !

Si le Food & Beverage est le fer de lance, les loisirs sont la lance elle-même. Seul crédo, plus c’est surprenant, plus cela attirera les clients. Dans le monde entier, on voit de véritables parcs à thèmes prendre la place des centres commerciaux, on vend une expérience déroutante : on fait naître les « parcs commerciaux » :

  • Le Madrid Xanadu, propose une piste de ski indoor, sans compter les cinémas, le bowling, la piste de karting et un mini-golf… Marne la Vallée n’a qu’à bien se tenir.
  • Le L&T d’Osnabrück en Allemagne, fait le choix de concurrencer directement Hossegor grâce à son CityWave, générateur de vague artificielle pour surfeur en devenir.
  • Le West Edmonton Mall canadien, franchit quant à lui Rubicon et devient clairement un parc d’attractions. Au programme : parc aquatique, montagnes russes, patinoire, mini-golf, salle de tir… Adieu nos « irréductibles gaulois », la concurrence est rude.
  • Et que dire du controversé EuropaCity bien français, le projet de 3,1 milliards d’euros, aux 10 000 emplois directs à 2 km du Bourget. Ce parc commercial de tous les records (plus cher projet privé de France) compte : 230 000 m2 de commerces, de 20 000 m2 de restaurants, de 50 000 m2 de lieux culturels dont une salle de spectacle, 2 700 chambres d’hôtels, 7 hectares de ferme urbaine ; mais surtout 150 000 m2 de surfaces de loisirs (outdoor et indoor) : parc à thèmes, parc aquatique, parc des neiges, parc d’aventure.

Le projet devrait sortir de terre en 2024, en même temps que le symbole du ludique que sont les Jeux Olympiques, hérités de nos antiques grecques. Pas de hasard, c’est du business.

« On peut savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation », prête-t-on au tout aussi antique Platon. Est-ce à dire que les nouveaux parcs commerciaux nous rapprocheront de la sagesse ? Rien n’est moins sûr, mais il n’y a pas de mal à s’amuser non ?


Article paru sur Business Immo