La guerre de Troie n’aura pas lieu, affirmait Jean Giraudoux dans sa pièce de théâtre de 1935. A l’heure d’une prise au sérieux croissante sur tous les sujets, amusons-nous un peu à filer la métaphore. Dans les murs de la cité de l’Hellespont, on trouverait le concept de centre commercial.
Dans la peau des envahisseurs helléniques, on reconnaitrait les leaders du e-commerce (Amazon, Cdiscount, Fnac, Venteprivée…). Jeff Bezos serait Agamemnon à moins qu’il préfère se grimer en Achille ? Le rôle de Priam reviendrait surement à Alexandre Bompard.
Est-ce que Cassandre représenterait les « prédicateurs de la mort » qui annoncent la fin des retails face au e-commerce ? Échoirait alors au food & beverage (F&B) la dure tâche de nous protéger en revêtant l’armure flamboyante d’Hector. Trêve de mythologie et parlons chiffres.
Au 1er trimestre de 2018, le e-commerce enregistrait une augmentation de 13 % pour atteindre 22,3 Mds€ selon les données de la Fevad. Toutes les projections tendent à montrer que la part de la vente en ligne continuera de croître dans les prochaines années jusqu’à atteindre 125 Mds€ annuel en 2020 (qui n’est pas un horizon si éloigné).
1/3 des achats devraient même se faire sur internet d’ici à 2030. Nul doute que le numérique est un bouleversement à prendre en compte et qui touche avec force et vigueur le commerce de détail. Ce n’est pas une surprise si le groupe Carrefour a annoncé dans son plan de transformation un budget de 2,8 Mds€ d’ici à 2022 pour ce poste de dépense.
Le nombre de m2 de surfaces neuves de centre commerciaux était en net repli en France en 2017 par rapport à l’année précédente (-23 %). Principal argument avancé : la poussée du ecommerce pour 68 % des propriétaires de centres commerciaux européens. Pourtant, tous les centres commerciaux ne sont pas placés sous la même enseigne.
Les plus exposés à la montée du commerce en ligne sont les centres de taille intermédiaire (10 000 à 25 000 m2) alors que les centres de proximité et les grands centres limitent cette exposition. Mais l’avenir pourrait moins les épargner. Afin de limiter cette débâcle, les contre-mesures s’organisent. Hector en première ligne.
Les études se succèdent : ULI, Cushman & Wakefield, JLL… et pointent du doigt l’importance du F&B dans la lutte contre la désertification des malls. A titre d’exemple, le dernier Mapic de Cannes était placé sous le thème du F&B. Rien de surprenant dans un pays comme la France me direz-vous ?, mais ce n’est pas tout à fait exact.
Le Royaume-Uni enregistrait une croissance de 9 % du segment F&B en 2017. Entre 2014 et 2017 : 2 158 boutiques de textile, chaussure et petit électroménager ont disparu, alors que dans le même temps presque 3 000 restaurants et cafés voyait le jour. En comparaison le secteur hexagonal reste moins marqué, bien que l’offre de restauration ait doublé au cours des 10 dernières années.
Malgré ce bémol, il est vrai que les arguments en faveur de ce « choix des armes » sont légion : si les gens mangent dans nos centres commerciaux, ils y restent et ont plus de chance de consommer. De plus, vendre une expérience culinaire est une chose qu’internet et autres imprimantes 3D tardent à mettre en place (mais qui sait ?).
Mais surtout : même à l’ère des social médias, les gens aiment être ensemble. Lutter contre le e-commerce avec comme seul fer de lance le F&B semble néanmoins un combat inégal. Le Monde titrait il y a peu : « Les ventes de produits alimentaires décollent sur internet », et prévoyait qu’en 2025, 70 % des consommateurs achèteront des produits alimentaires et des boissons sur internet.
Tendance qui additionnée au « fait-maison » pourrait bien mettre en péril notre guerrier mythologique. D’autres pistes sont envisagées : retour à l’artisanat authentique, le check-and-collect, le web-to-store, la e-réservation, le design de centre commerciaux plus végétaux et agréables à vivre, la gourmétisation de nos retails, le degital-experience-in-store… et tant qu’autres anglicismes.
Des motifs d’espoir sont encore présents : pour le prêt-à-porter il est difficile d’essayer et d’échanger en ligne, de plus faire du lèche vitrine reste un acte social d’importance pour beaucoup de français. On se dirige de plus en plus vers une scission profonde entre la consommation rationnelle qui passera par internet et les achats irrationnels liés aux émotions.
Pourtant la conclusion semble inéluctable, les centres commerciaux tels que nous les connaissions sont appelés à disparaître. Le retail est mort, vive le retail !
Article paru sur Business Immo